Le « Paquet Marque » :
la marque communautaire fait peau neuve

Avec l’arrivée du printemps, la marque communautaire fait peau neuve. Quelles incidences sur la création de nom de marques ?

Le Parlement Européen a ratifié le 15 décembre dernier une nouvelle directive européenne et un nouveau règlement sur la marque européenne. Ils sont entrés en vigueur le 23 mars 2016, sous le nom de « Paquet Marque » (« Trademark Package » en anglais). Ce vilain nom désigne un dispositif élaboré en réponse à un double objectif :

– moderniser le droit communautaire

– et harmoniser les droits nationaux en matière de marque.

Voici, parmi l’ensemble des dispositions du texte, celles qui concernent plus spécifiquement la création de marques.

Le Paquet Marque affecte le droit des marques à l’échelle européenne et à l’échelle nationale des 28 pays membres de l’UE.

 

Droit européen et droits nationaux : le double niveau de protection des marques reste maintenu

Comme par le passé, deux niveaux de protection des marques vont continuer à cohabiter : une protection nationale, avec des dépôts et des enregistrements nationaux d’un côté, régie par des droits nationaux, et une protection européenne de l’autre, régie par le droit européen.

Ce qui évolue avec le Paquet Marque, c’est que le droit communautaire s’impose encore plus qu’avant comme référence et que les Etats vont devoir ajuster les règles nationales en vue d’une harmonisation au niveau européen.

Certaines dispositions du Paquet Marque sont obligatoires, charge aux Etats de les mettre en pratique dans les délais impartis ; d’autres restent facultatives.

Néanmoins, ce qui est à l’oeuvre, c’est une harmonisation du droit dans l’ensemble des pays d’Europe. Nous verrons plus loin quelques exemples, concernant notamment la France.

 

Premiers changements, d’ordre sémantique : l’office et la marque communautaires changent de nom

C’est décidément à la mode ! Les partis politiques changent de nom, les régions changent de nom… les offices de propriété intellectuelle aussi…

* l’Office communautaire change de nom : on ne parle plus de l’OHMI (Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur), mais de l’OUEPI, pour Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle, ou encore EUIPO (prononcer EU-IPO, comme pour le UK IPO) en anglais.

* on ne dit plus « marque communautaire »; il faut désormais dire « marque de l’Union européenne », celle-ci couvrant toujours les 28 pays de l’Union Européenne (dont, rappelons-le, ne font partie ni la Suisse, ni la Norvège). En anglais, on ne parlera plus de « Community Trademark » mais de « European Trademark ».

Pour mémoire, ces 28 pays sont : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Lituanie, la Lettonie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République Tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède. La Suisse et la Norvège n’en font pas partie, et doivent faire l’objet de dépôts spécifiques, via leurs offices de propriété intellectuelle respectifs.

L’OUEPI (Office de l’Union Européenne pour la propriété intellectuelle),
ex-OHMI, à Alicante en Espagne.

4 changements majeurs affectent la marque européenne

– la suppression de l’obligation de représentation graphique

– la suppression du barème tarifaire « 3 classes pour le prix d’un dépôt ou d’un renouvellement»

– l’obligation de clarté dans les libellés de produits et services

– une simplification de la procédure de déchéance

 

1- La fin de l’obligation de la représentation graphique de la marque

Jusqu’ici, pour déposer une marque, il fallait que celle-ci puisse être représentée graphiquement : sous forme verbale (une succession de lettres), figurative (graphisme, dessin) ou semi-figurative (combinaison de lettres et d’un visuel).

La fin de cette obligation ouvre aujourd’hui la porte à de nouveaux types de marques : les marques olfactives et les marques sonores (par exemple un jingle).

Jusqu’à présent, il était possible de déposer un jingle musical, par exemple les quelques notes et paroles qui accompagnent les spots publicitaires (on a tous en tête les quelques notes chantées du jingle de la SNCF) ; mais il fallait les déposer sous forme graphique, en l’occurrence sous forme de portée musicale.

A présent, on pourra protéger ce jingle plus facilement, tout simplement en envoyant le fichier mp3 à l’Office Européen.

Dans la pratique, l’OUEPI va devoir s’organiser pour recevoir, stocker, vérifier et gérer ces nouvelles données. Il faudra sans doute un peu de temps à l’Office pour adapter sa base de données à ces nouveaux formats de fichiers.

En tout cas, l’idée qui prévaut est celle d’une plus forte reconnaissance du caractère protéiforme des marques, et la volonté de permettre aux entreprises une meilleure prise en charge et protection de leur patrimoine immatériel, y compris s’agissant de sons, d’odeurs et de goûts.

Cette disposition ouvrira sans doute des possibilités nouvelles à l’industrie cosmétique (pour déposer un rouge à lèvres qui aurait un goût particulier), au retail pour déposer des ambiances olfactives, à l’industrie alimentaire, au secteur des boissons (pour déposer un goût), sans compter les marques sonores qui sont transverses à tous les secteurs d’activité.

 

2- La suppression du barème tarifaire « 3 classes pour un enregistrement »

Depuis sa création, l’OHMI proposait aux déposants de choisir jusqu’à 3 classes lors de toute demande de dépôt, pour un montant forfaitaire de taxes de 900 euros. Que l’on choisisse 1 classe ou 3 classes, le montant des taxes était le même. C’est le système qui est en vigueur en France avec une taxe d’enregistrement de 210 euros prélevée par l’INPI, que l’on choisisse une, deux ou trois classes.

Avec ce système, les déposants n’étaient pas incités à choisir et délimiter leurs classes de dépôt en fonction de leur stricte activité ; ils étaient incités à déposer 3 classes, parce que ça ne coûtait pas plus cher. En conséquence, nombreux sont les dépôts pour lesquels des classes ont été ajoutées sans autre raison que « c’est compris dans le prix ». En agissant de la sorte, les déposants ont provoqué, sans l’avoir cherché et sans comprendre vraiment ce qu’ils faisaient, un encombrement des registres de marques aussi inutile que nuisible.

La décision de l’OUEPI de supprimer ce système du 3-en-1 va dans le bon sens. C’est une très bonne nouvelle car elle va forcer les déposants à reconsidérer la question du choix des classes et les inciter à ne déposer que celles qui sont réellement pertinentes au regard de leur activité.

Cette mesure est donc en vigueur dès-à-présent au niveau européen. On espère qu’elle sera également mise en place en France car cette transposition reste facultative pour les Etats membres.

 

3- L’obligation de clarté dans les libellés des produits et services

Là encore, c’est une avancée notable qui va permettre de désengorger un peu, à terme, le registre des marques européennes. On se rapproche, ce faisant, des pratiques du droit des marques américain et des procédures de dépôt de l’USPTO.

De quoi s’agit-il ?

Jusqu’à présent, un déposant pouvait à sa convenance choisir de définir un libellé précis, qui limitait le champ de sa demande et de la protection visée, aux seuls termes figurant dans le libellé de ses produits et services ; ou bien de préempter la totalité de la classe de produits et services. Il revendiquait alors la protection sur toute la classe, même si son activité n’en couvrait qu’une petite partie. Et l’office européen faisait une interprétation extensive de la demande du déposant, considérant qu’il avait déposé toute la classe, et lui octroyant une protection sur l’intégralité des services de la classe.

Prenez par exemple la classe 9, classe très large s’il en est car elle regroupe l’ensemble des produits techniques et scientifiques : des produits aussi différents que des bracelets magnétiques d’identification, des caisses enregistreuses, des canalisations électriques, des casques de protection pour le sport, des condensateurs électriques, des détecteurs de monnaie ou de fausse fumée, des encodeurs magnétiques, des étiquettes électroniques pour marchandises, des fibres optiques ou des gilets pare-balles, des guichets automatiques, des imprimantes d’ordinateurs, des verres et lentilles de contact, des logiciels et des masques de protection, des appareils pour mesurer l’épaisseur des cuirs, des microscopes et des montures de lunettes, des oscillographes et des piles solaires, des satellites et des tapis de souris… Bref, un inventaire à la Prévert.

Le dépôt et l’enregistrement d’une marque dans la classe 9, sélectionnée dans son intégralité, revenait à bloquer toute la classe, alors que l’activité concernée pouvait n’être circonscrite qu’à des tapis de souris ou à des casques de protection pour l’équitation. Résultat : un engorgement excessif et anormal des registres de marques, surtout dans les classes qui regroupent des produits ou services très variés, comme la classe 9, la 35 ou la 42.

Avec le Paquet Marque, la situation évolue : l’interprétation extensive du dépôt fait place à une interprétation littérale. Ne seront protégés que les produits et services qui auront été précisément indiqués dans le libellé, et la demande de dépôt faite en cochant l’entête de la catégorie ne vaudra plus pour la totalité des services qu’elle recouvre.

Concrètement, cela va obliger les déposants à mieux définir leurs libellés, et à limiter les champs de protection octroyée aux libellés réels.

A cette exigence de clarté, imposée aux déposants dans leurs libellés, va répondre également une vigilance accrue de l’OUEPI qui va, de manière plus systématique, vérifier et contester les libellés trop vagues.

Pour tous ceux qui sont titulaires d’une marque européenne, la faculté sera donnée de mettre à jour leur libellé en conformité avec cette nouvelle disposition. Les titulaires des marques auront jusqu’au 24 septembre pour le faire, sans taxe supplémentaire. Passé ce délai, les libellés actuels ne pourront plus être modifiés.

On ne peut que se féliciter de telles mesures, qui vont limiter les enregistrements inutiles et trop vagues. La cohabitation des marques dans les classes va de fait être renforcée, à l’instar de ce qui est pratiqué aux Etats-Unis par l’USPTO. Les Etats membres ont 3 ans pour transposer cette mesure*.

 

4- La simplification de l’action en déchéance pour défaut d’usage sérieux

L’action en déchéance désigne le fait de demander la déchéance d’une marque au motif notamment qu’elle n’est pas exploitée par son titulaire. Cette mesure permet de débloquer et/ou sécuriser des projets de marques, lorsqu’on se trouve en présence de marques identiques ou similaires enregistrées, mais non exploitées. En France et en Europe, l’action en déchéance peut être intentée au bout de 5 ans.

« Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans »
(
article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle).

La déchéance pour défaut d’usage se faisait jusque-là dans le cadre d’une procédure judiciaire : cela nécessitait de passer par les tribunaux et de recourir à un cabinet d’avocats ; la procédure était donc longue et coûteuse. A présent, une simple procédure administrative suffira pour faire tomber une marque. Les frais seront réduits et la procédure devrait être très rapide (6 mois à 1 an). Là encore, il s’agit d’une disposition européenne qui va être transposée dans les différents droits nationaux. Les Etats ont 7 ans pour se mettre au diapason de l’Union Européenne en la matière.

En revanche, on regrette que la Communauté Européenne n’ait pas fait d’avancée majeure en matière d’obligation d’usage, qui n’est toujours pas imposée lors des dépôts européens. Il faudra toujours attendre 5 ans avant de pouvoir agir auprès de l’OUEPI pour obtenir la déchéance d’une marque de l’Union Européenne.

Aujourd’hui, il reste donc souvent plus simple de racheter une marque plutôt que de l’attaquer en déchéance. Dans quelques années, ce ne sera plus le cas ; cela permettra aux entreprises qui ont besoin de noms, à leurs agences conseil et à leurs CPI de sécuriser plus facilement leurs projets de marques.

 

Pour résumer, le Paquet Marque apporte des avancées notables en matière de protection et de sécurisation des marques européennes :

– parce qu’il impose une plus grande vigilance dans le choix des classes de produits et services

– parce qu’il force à une clarification des libellés des produits et services

– parce qu’il restreint la protection aux seuls produits et services cités

– parce qu’il fera une interprétation littérale, et non plus extensive, des dépôts de marques,

le Paquet Marque va permettre aux spécialistes des marques de mieux protéger, surveiller et défendre leurs marques, qui plus est dans des délais et selon des procédures moins longues et moins couteuses (action en déchéance notamment).

On ne peut que s’en féliciter, tant, en tant qu’agence de naming, on se trouve bloqué aujourd’hui par ces nombreux enregistrements, mal libellés, trop vagues, souvent peu ou mal exploités, qui encombrent les registres de marques et bloquent le développement économique.

On regrette simplement que l’obligation d’usage ne soit pas imposée lors des dépôts, comme aux Etats-Unis, ou, tout du moins, que l’action en déchéance ne puisse pas être demandée au bout de simplement deux ans, délai qui semblerait tout à fait raisonnable.

 

L’équipe de Timbuktoo-Naming remercie vivement Julie Dulman, European Trademark Attorney, et Tetyana, IP Lawyer, du Cabinet Inlex pour leur précieux éclairage sur le Trademark Package, et pour leur contribution à la rédaction de cet article.

 


* A noter qu’en France, l’interprétation est déjà littérale. L’en-tête de classe est interprété strictement.

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